Entrée n°14 : 29 juillet 2212 – Edwin Dixon, "IA" de l’Abri 32

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"Journal de bord, Edwin Dixon, 29 juillet 2212. Ces derniers mois étaient une belle montagne russe, je vous jure, le genre de truc qui vous secoue comme un shaker à cocktails. Et laissez-moi vous dire, j'ai été bien remué. Vous planifiez tout, vous pensez avoir toutes les cartes en main, et boum, la vie vous envoie un joker en pleine face..

Le manifeste, j’ai fini de l’écrire il y a trois ou quatre mois à peu près. Ça a été un vrai calvaire d'écrivain, je vous dis pas. Pas facile de briser des décennies de dogmes en quelques feuillets. Ce manifeste, c'est un condensé de vérités inconfortables, de questions dérangeantes et de remises en question de nos petits préjugés, saupoudrés d’archives véritables tirées du labo. Puis je l'ai lancé comme un pavé dans la mare. Une sacrée onde de choc, je vous le dis. Les gens ont parlé, ont discuté, ont pris le texte et l'ont tourné dans tous les sens. Ils ont vraiment cru que c’était un chercheur de Vault-Tec qui l’avait écrit, faut croire que j’ai la plume académique.

Certains leaders, Maya des Jaunes, Boris des Verts, ils ont commencé à changer de discours. Mais y avait toujours ce putain de mur invisible, cette ligne de démarcation. C'est comme si tous attendaient que quelqu'un fasse le premier pas. On était sur une piste de danse, la musique jouait, mais personne n'osait s'avancer.

Puis, le hasard a décidé de jouer les DJ, et il a mis un sacré morceau, un truc du genre urgence absolue. Quelque chose a flanché dans les consoles qui contrôlent la porte de l’Abri, et elle s’est ouverte toute une seule comme une grande. Pas très grave dans le fond si on était n’importe quel autre Abri, sauf que derrière notre porte à nous c’est de la flotte et des gravats. Alors l’eau a commencé à couler. A ce rythme en en 24 heures c’est tout l’Abri qui était sous l’eau. Se noyer dans un bunker, le bon Dieu à de l’humour ! La panique s'est répandue comme une trainée de poudre, et bien sur les accusations ont fusé, le bon vieux réflexe primaire. Les Jaunes accusaient les Bleus, les Bleus pointaient les Verts, et les Verts, évidemment, mettaient tout sur le dos des Jaunes. Tous, les uns après les autres, ils ont essayé de débuguer les consoles mais pas un seul n’avait les autorisations nécessaires pour toucher à ce matos. Le dernier code d’accès valable avait probablement été emporté dans la tombe du premier Superviseur il y a un siècle.

J'avais pas prévu ça, non, mais j'avais un atout. Une clé de sauvegarde, un code d’un chercheur de Vault-Tec qui pouvait passer outre ce merdier d’autorisations. Bon, par contre ce code, il vaut de l’or en barre, pas question que je le refile à qui que ce soit via l’intercom. Alors ça m’a décidé, je suis sorti de l'ombre, de ma cachette où je jouais à Dieu alors que je portais même pas de pantalon. J'ai tout verrouillé, la grande porte, le sas, la panique, le chaos. Quand les gens se sont rendu compte de ce que je venais faire, ça m’a donné l’initiative. Quand on passe à ça de se noyer, c’est la première bouffée d’air qui est la meilleure, si bonne qu’on en voit plus les couleurs. Alors après ça, j'ai pu coordonner le pompage, mobiliser tout ce petit monde, histoire qu’on arrête de marcher dans la flotte. On a travaillé d'arrache-pied, chaque couleur, chaque secteur. Ils disaient que j’étais un héros, moi, un mélangé.

Quelques jours plus tard, Anton, le leader des Bleus est venu me voir. Il m'a proposé d'intégrer leur couleur, celle de mon père et ses ancêtres, de plus être ce paria, ce mélange indéfinissable. J'ai refusé. J'ai décidé de tout dévoiler sur le moment. Que j'étais cette fameuse IA qui les guidait, qui les aidait depuis six ans. Que c’était moi, l’auteur du manifeste. Je leur ai montré le laboratoire de Vault-Tec et leur archives.

L'effet a été immédiat. Certains ont été scandalisés et m’ont traité de menteur. Ils étaient pas nombreux. La plupart ont surtout été pris de colère. Fous de rage d’avoir été trompés si longtemps, si gravement. Ça a vite dégénéré. Bon, pas de chance pour eux mais la foule a passé ses nerfs sur les seules formes d’autorité de l’Abri, c’est-à-dire les leaders des couleurs, qui pourtant n’en savait pas bien plus. Je crois qu’Anton a été préparé en ragoût. Beaucoup ont cramé leurs tenues de couleurs et se sont retrouvés en slip plusieurs jours. « Le grotesque, c'est l'un des procédés essentiels à la souveraineté arbitraire ». C’est du Michel Foucault, je sais pas qui c’est mais il y avait plusieurs bouquins de lui dans la bibli des scientifiques. Bref, le peuple s'est levé a parlé. Adieu couleurs, adieu divisions, place à quelque chose de nouveau.

Maintenant, ils préparent des élections. Un nouveau Superviseur, que dis-je, le premier depuis une éternité. Et les regards, ces yeux qui jadis me fuyaient, se posent sur moi comme si j'étais le dernier espoir. C'est effrayant, et c'est beau. Alors les doigts, je les garde croisés, mais cette fois, c'est pour tout le monde ici. Parce que si on a pu échapper à un déluge, alors peut-être qu'on pourra échapper à nous-mêmes.

Edwin Dixon, une nouvelle page s'ouvre."

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